King du territoire
Après la Conquête de 1763, « au courant des bonnes affaires que les commerçants français faisaient dans l’exploitation des diverses pêcheries », les « capitalistes de la mer », allaient rapidement « occuper les anciens territoires français ». (Bélanger, p. 195) Charles Robin, « cet insulaire qui allait supplanter, et pour longtemps, tous les autres commerçants gaspésiens », était « l’un de ces marchands ». (Bélanger, p. 196)
L’Évêque de Québec, Joseph-Octave Plessis, après sa visite de 1811, avait écrit: « Paspébiac est l’endroit central du grand commerce de morue de MM. Robin : ils y ont leur comptoir et leur principal magasin, et sont propriétaires d’une étendue de terre considérable. » (Bernard, p. 182) Charles Robin avait pris sa retraite depuis 1802 et était retourné vivre sur son île natale. En 1836, l’abbé Ferland, à son tour, décrivait ainsi la compagnie: « Aucun des propriétaires ne résident sur les lieux. Le chef voyage en France et en Italie : de là, par lettres, il communique ses plans et ses ordres, que le résident de Jersey est chargé de faire exécuter. » (Bernard, p. 183) Charles Robin était décédé depuis 1824. Célibataire, il avait depuis ses débuts campé son désir de pouvoir en Gaspésie. En voici un exemple éloquent:
De 1764 à 1769, une réglementation commerciale britannique obligeant les navires de Jersey et Guernesey à s’enregistrer à un port anglais entrave leur commerce avec la colonie du Canada. Quelques navires de la Robin, Pipon & Company sont ainsi saisis en 1768 par la marine royale anglaise sous l’accusation de commerce illicite. Les Jersiais réussissent peu après à faire abroger cette loi ; leurs navires pourront désormais se rendre directement au Canada. (Bélanger, p. 198)
Ce marchand, négociant, ce futur exploiteur sans scrupule, était venu exploré en 1766, à 23 ans, et s’était installé en 1767. En 1768, il y avait eu cet incident trop fâcheux. Puis en 1769, la loi britannique avait été abrogée. Quelle puissance ! Dans le Recensement de 1831, la compagnie Charles Robin occupait la place entre les fermiers Jacques Huard et John Morgan, la huitième place après Louis Huard, le premier à avoir été identifié à Paspébiac. La compagnie possédait vingt-cinq maisons dont quatre étaient habitées, pour les vingt hommes et garçons suivants: deux de 14 à 17 ans, 2 de 18 à 21 ans et seize de 30 ans et plus. Tous « en relation avec l’Église d’Angleterre », ils n’étaient pas mariés. Dix-huit d’entre eux étaient des « serviteurs employés comme fermiers ». Un autre s’occupait « de commerce et de négoce ». Que faisait le vingtième ? Sur son territoire occupé de 3200 acres, obtenu par adjudication, 100 acres servaient à cultiver de l’orge, de l’avoine et des patates. La compagnie possédait huit bêtes à cornes, quatre chevaux et six cochons. Tiens donc ! Pas de moutons ! De plus, elle employait 150 marins et pêcheurs, non recensés, venus de l’Île Jersey, lesquels devaient y retourner à l’automne. Voilà ! En 2009, l'historien Mario Mimeault détaillait l’utilisation des divers bâtiments de cette compagnie:
Le quartier général de la Robin, à Paspébiac, se veut un monde en soi et traduit à lui seul la puissance de la compagnie. En 1830, on y trouve huit habitations pour le personnel. Dix magasins servent à l’entreposage du poisson et d’équipements divers. À cela s’ajoutent une étable, un entrepôt de sel, une voilerie, une tonnellerie, des latrines, un atelier de garnitures, une forge, une poudrière et onze hangars. (p. 91)
Le tout comptait au moins 37 bâtiments. En 1981, dans Histoire de la Gaspésie, l’énumération était quasi semblable pour 32 bâtiments: « Vers 1830, [...] huit habitations, dix magasins, une réserve de sel, une voilerie, un atelier de garniture et onze hangars. » (p. 201) Pourquoi cette différence à la baisse, d’une dizaine de bâtiments, entre 1830 et 1831. Pourquoi huit habitations « pour le personnel » en 1830 et seulement quatre « maisons habitées » en 1831 ? Avant de conclure, une dernière citation:
Tous les écrits du temps témoignent de l’emprise de la compagnie de Charles Robin sur la région [...]. On parle toujours abondamment du phénomène Robin, de son organisation particulière et de son pouvoir sur les pêcheurs et les habitants de cette grande partie de la côte, où se regroupe la majorité de la population péninsulaire. On a même souvent exagéré l’importance de ce marchand, contribuant à le mythifier à outrance. (Bélanger, p. 207)
Je me serais passée d'écrire ce texte, si ce n’avait été de mon engagement à l’étude du Recensement de 1831. Notons bien que je n’ai quasiment fait que de citer ce qui avait déjà été écrit, un peu comme Sylvain Rivière dans son dernier livre sur les Robin. Pas évident d’écrire sur un sujet antipathique ! Pour moi, du moins.
Enfin ! Une étrange coïncidence s'est produite hier lors d'une fouille sur le web. Il s'agit de la trouvaille d'une vidéoconférence sur Youtube, transmise par un jeune essayiste français qui porte le nom de Charles Robin. Le titre: Les paradoxes de la domination.
© Lucie Delarosbil, 2014
Modifications: 6 mars 2021
Sources: Sylvain Rivière, L’empire des Robin. Histoire de l’esclavage du pêcheur gaspésien, 2013; « Tchakibiac (Paspébiac) ''Batture rompue'' » dans Gaspésie rebelle et insoumise, 2000, p. 57 à 66; La belle embarquée, 2005 [1992]. Mario Mimeault, La Gaspésie, 2009. Jules Bélanger & al., « La morue sèche, moteur de l’économie » dans Histoire de la Gaspésie, 1981, p. 191 à 257. Antoine Bernard, « La Pêche en Gaspésie depuis 1760. - Les Robin. » dans La Gaspésie au Soleil, 1925, p. 179 à 198. Jean-Marie Fallu, « Paspébiac » dans Gaspésie, 2004, p. 339 à 357. Mario Mimeault, « Charles Robin 1766-1825. Les débuts du roi de la morue » dans le site Encyclobec, 2002. Claude Marcil, « Les Robin: exploiter les Gaspésiens jusqu’à la dernière morue » dans le site Le Kiosque Médias, 2011. Claude Morin, « Banc-de-pêche-de-Paspébiac- Au coeur de l'empire morutier » dans le site Le Devoir, 2007. « Robin, Charles » dans le site Dictionnaire bibliographique du Canada. « Charles Robin » dans le site CyberAcadie. L’Histoire acadienne au bout des doigts. « Secteur Charles Robin » sur le Site historique du Banc-de-Pêche de Paspébiac. « Charles Robin » dans le site Wikipédia. Etc. Etc. Etc.