Miel au venin de Galibois

Publié le par Lucie Delarosbil

Dans les débuts de la généalogie, on aimait parler des « races » au Québec.

Déjà en 1928, Auguste Galibois parlait des gens de Paspébiac comme si nos ancêtres étaient des dégénérés. Aussi dur d’oreille que tordu d’esprit, il nous appelait les « Paspillats ». Dans sa Gaspésie pittoresque et légendaire ou Les terreurs du Capitaine Asselin, reproduit par Sylvain Rivière dans son chapitre « L’amalgame des races » (p. 47-50) , Galibois écrivait:

S’il est sur notre littoral un autre endroit aussi joli que Paspébiac, aussi visité par les touristes, aussi vanté par son site pittoresque, il n’en est aucun, certes, dont la population ait à si haut point défrayé la chronique des côtes pendant au-delà d’un demi-siècle. Cette population, aujourd’hui mixte et composée de Jersiais, de Canadiens, d’Irlandais et d’Acadiens, contient aussi un cinquième élément hétérogène qui tend à disparaître à présent, mais qui un jour n’en peupla pas moins toute la ville à lui seul en opposition aux Irlandais et aux « colonists » compacts de New Carlisle.

Le « cinquième élément », qui est-il ? Les Basques ? Poursuivons cette lecture du dénigrement de nos ancêtres, même si elle donnera la nausée:

Tombés Dieu seul sait d’où exactement, et Dieu seul sait par quel moyen, les « Paspillats » dont le caractère indique des points d’homogénéité avec une autre race nombreuse ici, révèlent aussi des traits qui les en éloignent, et sont évidemment le résultat de plusieurs générations de sang-mêlé où l’Acadien breton domine aujourd’hui, mais dont l’origine est hypothétique.

L’« autre race », qui est-elle ? Les Autochtones ?

Selon la version de quelques historiens, et c’est la plus vraisemblable, il faudrait chercher fort loin la provenance du premier élément constitutif de cette race.

Tiens, il y a un autre « premier élément » qui n’est pas les Jersiais. Le fameux génie de Galibois s’acharne cruellement en métaphores de mathématiques modernes. On veut savoir qui sont ces historiens. On trouvera !

Sur de pressantes demandes, Colbert aurait, vers 1670, envoyé à Plaisance un groupe de soldats recrutés un peu partout, défenseurs dont il ne fournissait peut-être pas en même temps le dossier de l’état civil. Ces miliciens, mis en disponibilité peu après, émigrèrent en Acadie, firent chasse et vie commune avec les Souriquois et opérèrent une sélection à rebours: leurs fils épousant des « squaws » de la tribu micmaque, pendant que leurs filles, brunes ou blondes, une denrée rare à cette époque, s’alliaient aux caboteurs basques et un tout petit nombre de pêcheurs bretons.

Qui étaient la « denrée rare » ? Les filles brunes et blondes ? Bien sûr, les Autochtones avaient leurs chevelures noires. Galibois transporte maintenant son génie de la métaphore dans le domaine de la consommation pour parler de nos Mères. Puis, il revient aux éléments:

De ces quatre éléments seraient issus les « Paspillats », qui pour cela n’en sont pas moins fiers !

Et il cite l’abbé Ferland qui cite Emmanuel Brasseur en 1866. Et il ne s’arrête pas de se ridiculiser en insultant nos ancêtres:

Il est sûr qu’il y a entre eux du basque: Chapados, Esquiros, Hesparos, ces noms vous donnent tout de suite l’illusion d’une descente à Saint-Jean-Pied-de-Port. À part cela, leur front nul, leurs petits yeux ronds à fleur de tête, leur rire indien en saccade, leur entêtement stupide, leur imprévoyance naturelle, leur irascibilité dès la plus légère ivresse; d’autres part leurs moeurs frugales, leur empressement à rendre service, leur vie discrète et effacée, sont des traits généreux où l’on saisit aisément la triple lignée des Basques, des Indiens et des Bretons, et plus malaisément, sans doute, celle de ces braves soldats dont Turenne n’avait peut-être pas voulu pour son armée d’Allemagne.

Les paroles mielleuses qui suivent les langues de vipères, le monde connait ça ! C’est le contraire que de recevoir le pot en pleine face après les fleurs dans les mains et ça fait autant de mal, sinon plus. Mais qui sont ces Esquiros et Hesparos pour ce dur d'oreille ? Aspirots peut-être. Enfin:

Quoi qu’il en soit, si ce petit peuple vient à disparaître, fusionné dans d’autres races, il aura certes vécu heureux, n’ayant pas d’autre histoire qu’une origine controversée.

Et cette conclusion à vomir qui me fait dire: « merci maman, merci papa de m’avoir conçue, mise au monde, élevée, éduquée », en passant, j'ajoute: « pas loin de la Plage à Norbert », afin de dénoncer ce goujat, énergumène, scélérat pour qu’il se retourne dans sa tombe des milliers de fois.

© Lucie Delarosbil, 2015

Publié dans Brasseur, Métissages

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J
Vous écrivez « comme si nos ancêtres étaient des dégénérés ». En fait, cette mauvaise langue de Galibois prouve le contraire : ne critique-t-il pas le métissage de Paspébiac? Ce métissage ne peut être que positif par ailleurs, dans une perspective biologique du moins. Galibots trahit le racisme eugéniste de son époque en présumant que la « pureté reproductive » était une valeur cardinale pour les civilisations européennes. Nous en sommes sortis, Dieu merci! On ne penserait plus à traiter de « dégénérés » les enfants du métissage ; bien au contraire!
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L
Merci Jean-Pierre, j'ai enlevé mon autre commentaire, après une lecture plus judicieuse de votre message. Mauvaise langue, critique acérée CONTRE le métissage de notre « petit » peuple, POUR l'eugénisme (pureté du sang) présumée disparue de notre culture en 1928. Oh oui, dieu merci ! Mais les séquelles existent encore chez nous, l'occultation de nos véritables origines d'avant 1763, supplantée par un Anglo-normand dès 1766. Un célibataire endurci, sans descendance autre que celles de ses frères. Occultation surtout de nos pères basques et de nos mères autochtones. Un Anglo-normand plus Anglo que Normand dans le patrimoine de Paspébiac. Comme le Canada fait avec le Québec et les Première nations. Même principe !
J
Je me demande comment un abbé peut en arriver à répéter des propos aussi injurieux pour une partie de la population. À se demander s'il avait lu l'Évangile.
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L
Non, Jean-Michel, il y a méprise. Peut-être me suis-je mal exprimée... C'est Galibois qui cite l'abbé Ferland, ce dernier ayant écrit un passage comique, mais que Galibois utilise pour amplifier sa ridiculisation de nos ancêtres, mais je n'ai pas écrit ce passage dans mon texte. Je le dit juste. Ce sera pour un autre texte, plus tard.