Paspébiac selon Serge Bouchard

Publié le par Lucie Delarosbil

Le 11 mai 2021, le grand ami des Innus est décédé. Ce fut le choc pour tous ses proches, amis et admirateurs. D'autant plus que, en 2020, il avait perdu sa conjointe, originaire de Paspébiac.

En 2018, j'ai eu à commenter l'une de ses oeuvres littéraires, Le peuple rieur. Hommage à mes amis innus, pour une chronique de la revue L'Ancêtre de la Société de généalogie de Québec. J'ai vraiment plongé dans ce témoignage émouvant. Je l'ai tellement aimé : je l'ai lu deux fois. Je l'ai publié sur mon blogue littéraire, Éloges et parcelles d'écriture.

Plus tard, en feuilletant son recueil de textes, L'Homme descend de l'ourse, j'ai été abasourdie par la découverte d'un titre de chapitre : Paspébiac. Notre village était un excellent prétexte pour relater le départ des villageois pour ''s'emmurer'' dans des villes. Dès le premier paragraphe, Serge Bouchard campait un sujet qui lui tenait à coeur : 

Il n'est pas bon d'être un village de nos jours. (...) Tous les défauts lui sont attribués : éloignement, petitesse, platitude, commérage, secrets, impossibilité de mener une vie culturelle qui se respecte. Nos villages, nous les fuyons comme la peste. Il ne s'y passe jamais rien. Le village est juste bon pour les vacances. 

Pour moi, il disait vrai, en partie. Comme si le fait de s'expatrier en ville, et j'ajoute le fait d'être une ville, allait changer tout ça. Notre ancien village possède ''une vie culturelle qui se respecte'', que je respecte, depuis fort très longtemps. Les secrets et les commérages subsistent partout, dans les quartiers, les milieux de travail et de bénévolat, les écoles, les organismes et organisations, les immeubles, les familles, les médias, et j'en passe. Partout où le monde se connait et se côtoie, même dans les villes, ça continue d'exister, ça ne cessera jamais d'exister, ça fait partie de la vie, culturelle ou pas, et de la réalité. On peut même dire que ça fait partie de la culture générale. 

Dans sa prose, Serge Bouchard se permettait de dire : ''Je ne sais rien de Paspébiac. Je me sens donc autorisé à tout en dire.'' Il fallait quand même qu'il se renseigne pour la suite, en particulier sur notre histoire. À part son vocabulaire pour détailler notre ravissante nature environnante, je choisis d'énumérer ces quelques mots, des clichés sans banalité, qui souvent identifient le cachet de notre patelin : micmac, barachois, baie des Chaleurs, grosses morues. De mon côté, je me permets d'ajouter de plus belle son extrait sur la misère de nos anciens : 

Cela attira bien du monde. Les Anglais la disputèrent aux Français, les Américains aux Loyalistes, et les humbles ont fait le reste, comme d'habitude. Les Jersiais, à travers l'empire commercial des Robin, furent aux pêcheurs ce que la Compagnie de la baie d'Hudson fut aux Indiens du Nord, ce que les papetières américaines furent aux bûcherons. Les entreprises possédaient les ressources et les gens ; elles les ont exploités, tourmentés, avant de les abandonnés. À force de rester et de s'accrocher, Irlandais, Écossais, Acadiens, Micmacs, Métis, Canayens, tous ensemble sont devenus Gaspésiens.

Déception ! Dans sa liste, il manque les Basques. Et non les moindres. Car je tiens à cette majorité chez les Paspéyas. Pour tout le travail que je fais depuis tant d'années ! Il est reconnu depuis de nombreuses décennies que ''la plupart des Paspéyas sont des descendants de familles basques.'' 

De plus, dans cette liste, d'autres de nos ancêtres sont aussi occultés : Allemands, Portugais, Anglais, Jersiais et autres d'origine française, comme les Normands, Bretons, Lorrains, etc.. On peut dire que ça fait beaucoup d'origines. Si on appelle ça de l'oubli, de l'omission, de l'ignorance, j'en doute énormément. Pour moi, ça ressemble à de la mémoire sélective.

Ensuite, Serge Bouchard faisait l'éloge de Paspébiac. Il y était passé cent fois, s'était arrêté qu'une seule et s'était posé la question : ''Qu'est-ce qu'un village sinon un petit livre ouvert qui se croit fermé ?'' Voici le début de sa réponse : ''Il faut prendre le temps de lire. Forcés de vivre dans la beauté, comme le dirait Camus, les habitants finissent par s'en détourner. Ils s'étonneront de la retrouver dans les yeux de l'étranger.'' Il clignait de l'oeil à Albert Camus, l'un de mes écrivains préférés, auteur du classique roman L'étranger

Puis, Serge Bouchard s'arrêtait devant les faussetés, les tristesses, les laideurs, celles des villages comparés à des banlieues. On dirait que, parce que nous serions ''forcés de vivre dans la beauté'', nous enlaidirions l'architecture qui nous entoure. On peut ne voir que le visible sur la surface, une ''apparente indifférence'' selon lui. Cependant, en bon philosophe, il y voyait beaucoup plus de profondeur, ''une sorte d'attachement, une certitude, le calme de la vérité''. Allez savoir ce qu'il voulait dire ! En vrai anthropologue, ce qu'il était finalement, il constatait : 

Dans tous les Paspébiac du monde, il est des âmes qui restent et résistent, des esprits qui perpétuent ce qui doit perdurer. Cela s'appelle se colleter à la puissance du temps, à la force du vent et du contre-courant. Notre pays est dur, déjà il est très dur. Notre époque a perdu le nord, elle a perdu ses directions, ses environs, c'est-à-dire ses villages, ses régions. Serait-ce trop faire honneur à ceux qui restent que de s'en souvenir ?

Sincèrement, je ne comprends pas sa question. Et vous ? Si oui, expliquez-moi, je vous en prie. Serge Bouchard publiait le livre dans lequel ce chapitre fait partie en 1998. L'année suivante, le village de Paspébiac devenait une ville, une ville faisant partie de l'Association des Villages-relais du Québec. 

© Lucie Delarosbil, 2021

Sources :
Serge Bouchard, L'homme descend de l'ourse, Éditions Boréal, Format compact, 2001.
Paspébiac dans les deux sites suivants : Villages-relaisHistoire du Québec

Publié dans Basques

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N
Serge Bouchard n'était pas historien. Ce léger détail lui permettait d'écrire n'importe quoi, comme dans Le Peuple rieur. Ses infos sur les Innus de la Côte-Nord sont impossible à valider, pourtant, je connais cette population comme tu connais la tienne.<br /> ;o)
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L
Merci, Nataly, pour ton commentaire, que j'apprécie particulièrement. J'espère que tu liras mon message.
M
Voici mon interprétation:<br /> <br /> Ayant lu plusieurs ouvrages de Serge Bouchard et connaissant en partie les thèmes qui l'animent, il me semble que la question est en fait une critique teintée de sarcasme. À mon avis, elle est, en fait, une éloge à la mémoire. Bien entendu, il ne vient pas de Paspébiac et certains morceaux manquent dans son récit (les Basques, par exemple).<br /> "Dans tous les Paspébiac du monde, il est des âmes qui restent et résistent, des esprits qui perpétuent ce qui doit perdurer. Cela s'appelle se colleter à la puissance du temps, à la force du vent et du contre-courant".<br /> <br /> Cette portion me semble révélatrice, dans le sens où Bouchard souligne que, malgré les transformations inévitables du monde contemporain, il y persiste une essence ou un noyau au sein de ces lieux villageois, représenté ici par le nom "Paspébiac", le nom étant à la fois très localisé et étant toutefois utilisé par Bouchard pour nommer un ensemble de lieux communs. Il réfère lui-même à une résistance, une résistance au changement.<br /> <br /> Quant à la portion qui suit :"Notre pays est dur, déjà il est très dur. Notre époque a perdu le nord, elle a perdu ses directions, ses environs, c'est-à-dire ses villages, ses régions", il m'apparaît évident que Bouchard réfère à la dure réalité du changement et de la perte d'un héritage ou des racines qui serait inévitable à l'époque actuelle. Lorsque l'on ne sait pas d'où l'on vient, il peut être difficile de savoir où l'on va. Ce qui serait menacé par cette époque où tout est en changement, où tout est si rapide et tout se globalise, c'est probablement la mémoire de ces lieux, de la culture et des histoires qui l'expliquent ou l'animent.<br /> <br /> Dans cette logique, poser la question "Serait-ce trop faire honneur à ceux qui restent que de s'en souvenir ?" est peut être en fait une formulation sarcastique qui appelle à la valorisation de la mémoire de ceux qui nous ont précédés. L'apparente petitesse de ces récits, de ces personnes et de ces mémoires localisées face à un récit historique national et plus unificateur est-elle une raison pour oublier ces premiers? Bien qu'il ait pu se documenter davantage, je pense que Bouchard cherche à valoriser la particularité de tous ces récits, ces personnages, ces nations, ces histoires qui font des lieux comme Paspébiac des richesses culturelles et identitaires qui forment la mosaïque identitaire du Québec d'aujourd'hui.
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C
Lucie, tu m’en apprend à chaque jour! Merci et j’adore tes écrits! A ma grande surprise, j’apprends ici, que l’amour de Bouchard est d’ici! Wow! <br /> Je viens juste de découvrir l’œuvre et la personnalité de ce grand homme (juste avant qu’il décède )… il manquait à ma culture … mon excuse c’est d’avoir vécu plus de 20 ans aux États; donc peu d’exposition aux auteurs et culture d’ici.<br /> Mickaël! J’apprécie avec bonheur ta réponse bien songée et très bien exprimée. Je crois que tu as vraiment saisi le point de Mr. Bouchard. Tu m’a éclairé!<br /> Merci bien!
L
Merci Mickaël ! Je suis d'accord avec vous. C'est un très bel ajout à mon texte, un ajout concret et réaliste.