Les Paspéyas, poème et chanson

Publié le par Lucie Delarosbil

En 1977, un poème était publié dans la Monographie de Paspébiac, un hommage à ses habitants: les Paspéyas. Voici ce qu'on avait écrit sur les origines de ce poème:  

Grâce à une heureuse découverte d'un ancien vicaire, M. l'abbé René Tremblay, curé de Saint-Bernard-des-Lacs, nous avons le plaisir d'offrir à nos lecteurs une poésie inédite d'un de nos meilleurs poètes canadiens, William Chapman. Lors d'un séjour à Paspébiac, il avait apprécié le bon curé, M. l'abbé Duret, ainsi que ses paroissiens, et c'est du nom pittoresque en usage courant dans le village qu'il qualifie ces derniers. (p. 8)

Le long poème

Paspébiac s’éveille. - À peine l’aube glisse / Ses premières lueurs sur l’infini mouvant, / Que l’un des vieux pêcheurs du « faubourg » déjà hisse / Sa voilure ondoyante au souffle âpre du vent.

Incliné sur le flanc, le coquet bateau sille / Avec un clipotis gai comme le réveil, / Battant la marche à toute une blanche flottille / Qui cingle, alertement, le cap sur le soleil.

Un groupe de vaillants s’en va jeter les lignes / Au « mitan » de la Baie où « mord » le poisson « franc ». / Les voiles au lointain semblent des vols de cygnes / Traînant l’ombre de leurs ailes sur le flot blanc.

À cent brasses du « pier » un trois-mâts appareille; / Au bocage l’oiseau prélude sous le pin, / Soudain un bruit de chaîne arrive à notre oreille, / Le vieil « éclaireur » vient de jeter le grappin.

Aussitôt douze « boats » mouillent l’ancre à la ronde; / Et les « crocs » appâtés vont plongeant, replongeant... / Et l’on tire à foison de la vague profonde / Les voraces « haddocks » aux nageoires d’argent.

Quels frétillants amas de chair vertigineuse ! / Tout un banc tombe aux mains des Paspéyas adroits; / Et lorsque midi luit sur l’onde moutonneuse / La flottille gaîment revient au « barachois ».

Leur cargaison livrée au maître de la « grave », / En hâte, pour dîner, tous rentrent sous leurs toits. / Au moment de trancher le pain bis, l’aïeul, grave / Et le front baissé, fait sur l’entame une croix.

Après un court repas, ces hommes forts et graves, / Qui tout à l’heure encor narguaient le gouffre amer, / Engerbent, jusqu’au soir courbés sur les « emblaves », / Les lourds épis de blé qu’ils « métivaient » hier.

Leur coeur, constamment, flotte entre l’onde et la terre, / En labourant le sol si calme des aïeux, / Ils songent, inconstants, à quitter la jachère / Pour courir sillonner les flots tumultueux.

Pendant que la senteur de la glèbe les grise, / Sur l’épais gazon vert ou le long géret brun, / Ils rêvent de humer le varech dont la brise / Ce matin leur soufflait l’âcre et subtil parfum.

Fascinés par la vague, ils raillent la Science / Qui voudrait enrichir leur terroir appauvri, / Et l’attrait des gérets que leur main ensemence / Leur fait presque haïr la mer qui les nourrit.

À chaque aube nouvelle, ils partent pour la pêche; / Tous les soirs, dans les prés que Dieu seul irrigua, / Ils mouillent de sueurs la faucille ou la bêche, / Et bien rares pour eux sont les jours de « dégrat ».

Sur les eaux, leur adresse égale leur courage; / Et quand le vent glacé d’automne bat les flots, / Il est beau de les voir manoeuvrer sous l’orage, / L’Arvor n’a jamais eu de plus fiers matelots.

Leurs nerfs d’acier les fait triompher des tempêtes; / À nul de ces pêcheurs le « suet » n’est fatal; / Une longue vieillesse auréole leurs têtes. / Tous s’éteignent tournés vers le grand Banc natal.

Entourés d’êtres chers, entre les bras du prêtre, / Ils meurent, résignés, sans crainte et sans remords, / Près des premiers sillons tracés par un ancêtre, / Dans les obscurs logis où leurs pères sont morts.

Ils reposent en paix dans leurs fosses profondes, / À l’ombre du clocher qu’ils avaient tant aimé, / Bercés dans leur sommeil par le souffle embaumé / Qui caresse en passant les coteaux et les ondes.

Des vers à la chanson

En 2012, des vers de ce poème ont été adaptés en chanson sur l'album Légendes d'un peuple, par Alexandre Belliard et ses musiciens Hugo Perreault, Philippe Brault et Guido Del Fabbro.

© Lucie Delarosbil, 2013

Modifications: 4 juin 2015

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J
Très beau poème : cela rappelle un peu Walt Whitman. Un éloge du travail et du courage.
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J
Belle évocation de la vie ancienne et de la double activité maritime et agricole de ces hommes. J'aime bien le rappel de cette coutume qu'ont connue aussi mes aïeux niçois de tracer une croix sur le pain qu'on entame.
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L
Merci ! Une coutume qui a traversé l'océan...